- Accueil
- |
- Actualités
- |
- ACTIONS FOLLOW-ON – Précisions sur la valeur pr...
ACTIONS FOLLOW-ON – Précisions sur la valeur probante des décisions des autorités de concurrence devant les juridictions nationales lorsque la Directive Dommages n’est pas applicable
Veille juridique
26 juillet 2023
Dans un arrêt du 20 avril 2023, aff. C-25/21, la Cour de Justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE ») s’est prononcée sur la valeur probante des décisions des autorités de concurrence nationales, lors de la mise en œuvre d’actions privées consécutives (« actions follow-on »), lorsque celles-ci ne rentrent pas dans le champ d’application de la « Directive Dommages ». Pour accorder une valeur probante élevée, la CJUE exige que « la nature de la prétendue infraction faisant l’objet de ces recours ainsi que sa portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale coïncident avec celles de l’infraction qui a été constatée dans ladite décision ».
En l’espèce, la société pétrolière Repsol a été condamnée à deux reprises, par les autorités de concurrence espagnoles, sur le fondement de l’article 101 du TFUE et du droit national espagnol. La première décision a été rendue en 2001, par le Tribunal de la concurrence espagnol, avant d’être confirmée en 2007 par un arrêt de la Cour Suprême d’Espagne. La seconde décision a été rendue en 2009, avant d’être confirmée en 2015. Dans les deux décisions, il lui est reproché, dans le cadre de ses relations contractuelles avec certaines stations-service espagnoles, d’avoir fixé indirectement le prix de vente au public des carburants.
Dès lors, les propriétaires d’une station-service, ayant conclu des contrats exclusifs d’approvisionnement de carburant de 1987 à 2009, ont intenté une action en nullité des contrats conclus avec Repsol, et une action en dommages et intérêts en réparation du préjudice prétendument commis. Afin de démontrer l’existence de l’infraction concernée, les demandeurs s’appuient sur les décisions de 2001 et de 2009.
La juridiction de renvoi saisie de l’affaire énonce, qu’aux termes de l’article 2 du règlement 1/2003, la charge de la preuve d’une violation du TFUE incombe à celui qui l’allègue. Ensuite, elle précise que selon la jurisprudence nationale, aucun effet contraignant n’est conféré à une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence. Sauf s’il est démontré que l’infraction contestée dans cette décision et celle faisant l’objet de l’action follow-on sont les mêmes, et à la condition que la partie requérante a bien été victime de cette infraction.
Toutefois, la juridiction de renvoi considère que « nier tout effet contraignant aux décisions définitives de l’autorité » nationale aurait pour conséquence de maintenir en vigueur des contrats contraires à l’article 101 du TFUE. Par conséquent, elle décide de sursoir à statuer et de poser deux questions préjudicielles à la CJUE.
La première question préjudicielle est relative à la valeur probante des décisions de l’autorité de concurrence nationale, dans l’hypothèse où la relation contractuelle en cause, dans l’action follow-on, relèverait du même champ d’application que la décision de l’autorité nationale. Dans un tel cas, est-il possible de considérer que la preuve de la pratique anticoncurrentielle est constituée, à charge pour la partie défenderesse de prouver le contraire ?
Dans un premier temps, la CJUE revient sur l’applicabilité temporelle et matérielle de l’article 9 paragraphe 1 de la Directive 2014/104/UE intitulée « Directive Dommages ». Cet article dispose « qu’une infraction au droit de la concurrence constatée par une décision définitive d’une autorité nationale de concurrence ou par une instance de recours soit considérée comme établie de manière irréfragable aux fins d’une action en dommages et intérêts introduite devant leurs juridictions nationales au titre de l’article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ».
Deux points sont traités par la CJUE concernant le champ l’application de la « Directive Dommages ». Tout d’abord, concernant le champ d’application matériel, la directive est applicable pour les actions en dommages et intérêts uniquement. Dès lors, aucune action en nullité ne peut être intentée sur ce fondement. Ensuite, concernant le champ d’application temporel, la CJUE rappelle qu’il faut établir si la disposition concernée est une disposition substantielle ou procédurale (arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C‑267/20, EU:C:2022:494, point 38). Dans la première hypothèse, la disposition serait applicable aux faits postérieurs au 27 décembre 2016, date à laquelle expire le délai de transposition laissé aux Etats-membres. Tandis que dans le second cas, la disposition serait applicable aux instances introduites à compter du 26 décembre 2014 (arrêt du 3 juin 2021, Jumbocarry Trading, C‑39/20, EU:C:2021:435, point 28).
Sans surprise, la Cour rappelle que l’article 9 paragraphe 1 de la directive porte sur l’existence de l’un des éléments constitutifs de la responsabilité civile, et revêt donc une nature substantielle. Par conséquent, l’article 9 paragraphe 1 ne saurait être applicable, en l’espèce, aux actions en dommages et intérêts intentées à la suite des décisions des autorités nationales de concurrences. En effet, ces actions sont devenues définitives antérieurement à la date d’expiration du délai maximum de transposition.
Dès lors, il est nécessaire de regarder la réglementation nationale interprétée par les juridictions nationales, au regard de l’article 2 du règlement 1/2003. La CJUE rappelle ensuite l’importance du principe d’effectivité. Selon lequel, les règles nationales ne doivent pas rendre « pratiquement impossible ou excessivement difficile » la mise en œuvre des droits subjectifs tirés du droit de l’Union.
En l’espèce, la CJUE considère que les règles nationales espagnoles, en ce qu’elles conduisent à une absence totale d’effet probatoire des décisions définitives des autorités de la concurrence, rendent « l’exercice du droit à réparation pour violations de l’article 101 TFUE (…) excessivement difficile ». La Cour se justifie en expliquant que les affaires relevant du droit de la concurrence nécessitent « la réalisation d’une analyse factuelle et économique complexe ».
Ainsi, la Cour indique que dans de telles affaires, il est important de garantir la pleine efficacité des articles 101 et 102 du TFUE. Il est donc nécessaire de considérer que la constatation d’une infraction au droit de la concurrence, par une décision de l’autorité nationale de concurrence, établit l’existence de cette infraction jusqu’à preuve du contraire. Elle précise que, pour cela, la nature de l’infraction mentionnée dans l’action follow-on, « ainsi que sa portée matérielle, personnelle, temporelle, et territoriales » doivent correspondre à celles de l’infraction constatée dans cette décision.
Par cette décision, la Cour de justice allège la charge de la preuve des victimes pour des faits antérieurs à la directive. En l’espèce, il suffit aux demandeurs de prouver que les contrats passés avec Repsol sont les mêmes que ceux sanctionnés par les autorités de concurrence. À charge ensuite pour la partie défenderesse de prouver le contraire.
La deuxième question interroge le fait de savoir si, dans l’hypothèse où il est établi que la relation contractuelle entre la station-service et Repsol est affectée par les décisions des autorités de concurrence nationales, la sanction est nécessairement la déclaration de nullité de plein droit de l’accord.
La Cour de justice répond par l’affirmative tout en nuançant sa réponse. Elle rappelle que le juge national doit tirer toutes les conséquences de l’article 101, paragraphe 2, du TFUE. Dès lors, il doit prononcer la nullité de plein droit de toutes les stipulations contractuelles incompatibles avec l’article 101, paragraphe 1, du TFUE. Toutefois, la Cour précise que l’ensemble de l’accord sera frappé de nullité, uniquement si les éléments en violation des dispositions du TFUE ne sont pas séparables de l’accord.
Finalement, cette décision ne devrait pas bouleverser la pratique des juridictions françaises. Il est en effet assez rare que les juridictions nationales contestent les décisions des autorités de concurrence. Cette décision vient rappeler l’importance de la distinction des dispositions substantielles et des dispositions procédurales de la Directive Dommages, tout en facilitant la charge de la preuve des victimes qui ne bénéficient pas de la directive.